
Des experts des droits humains de l’ONU exhortent l’Iran à suspendre les exécutions et à enquêter sur les accusations de torture
Un groupe d’experts des droits humains de l’ONU a tiré la sonnette d’alarme face au risque imminent d’exécution de six prisonniers politiques iraniens, condamnés à mort à l’issue de procès qualifiés de profondément iniques et entachés d’actes de torture.
Dans une communication officielle adressée au régime iranien, la Rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des droits humains en Iran — aux côtés des titulaires de mandats sur la torture, les exécutions extrajudiciaires, la liberté de religion ou de conviction, et les disparitions forcées — a exprimé sa « grave préoccupation » quant au sort de Babak Alipour, Vahid Bani Amerian, Akbar (Shahrokh) Daneshvarkar, Pouya Ghobadi, Abolhassan Montazer et Seyyed Mohammad Taghavi Sangdehi, tous condamnés à mort pour baghi (rébellion armée) en raison de leur présumée appartenance à l’Organisation des Moudjahidines du peuple d’Iran (OMPI).
Arrestations violentes et actes de torture
La lettre des experts des droits humains de l’ONU détaille une série de violations dès les arrestations des six hommes, entre décembre 2023 et février 2024, effectuées sans mandat judiciaire, au cours desquelles plusieurs détenus ont été battus ou blessés par balle. Les experts rapportent que les prisonniers ont subi une détention au secret prolongée, l’isolement cellulaire, ainsi que des tortures physiques et psychologiques.
Les interrogateurs les auraient menacés d’exécution sommaire et contraints à des confessions filmées. Parmi les sévices signalés figurent les coups de fouet, les passages à tabac ciblant des zones sensibles, la privation de soins médicaux et l’exposition forcée au froid. L’un d’eux, Abolhassan Montazer, aurait souffert de complications cardiaques après une opération antérieure, tandis que Babak Alipour se serait vu refuser le droit de pratiquer sa religion.
Procès inéquitables et condamnations à mort
Les six accusés ont été jugés conjointement le 6 octobre 2024 par la 26e chambre du tribunal révolutionnaire de Téhéran. L’audience, qui n’a duré que quelques minutes, aurait reposé sur des aveux forcés, les accusés n’ayant eu accès à leurs avocats qu’au jour du procès.
Le 30 novembre 2024, le tribunal a prononcé la peine capitale contre les six hommes, assortie pour certains de longues peines de prison. Malgré les recours déposés devant la Cour suprême, les experts redoutent que ces dossiers soient expédiés vers l’exécution sans examen réel, comme cela s’est produit dans d’autres affaires similaires.
Après la frappe aérienne israélienne de juin 2025 contre la prison d’Evine, les prisonniers ont été transférés à la prison centrale du Grand Téhéran, puis à Qezel Hesar, l’un des principaux centres d’exécution du pays. Leur isolement actuel dans cet établissement renforce la crainte d’une exécution imminente.
Violations du droit international
La communication des experts des droits humains de l’ONU cite de multiples violations des instruments internationaux relatifs aux droits humains, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), ratifié par l’Iran en 1975. Les experts soulignent que l’application de la peine de mort à l’issue d’un procès inéquitable viole les articles 6 et 14 du Pacte et constitue une privation arbitraire de la vie.
Le texte rappelle également les obligations de l’Iran au titre de la Convention contre la torture, des Règles Nelson Mandela et des Garanties des Nations unies pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort. L’isolement prolongé et les aveux extorqués par la torture, notent-ils, rendent toute condamnation à mort illégale.
Les experts des droits humains de l’ONU condamnent en outre le refus de soins médicaux, la violation de la liberté religieuse et la privation de contacts familiaux, considérant ces actes comme contraires au droit à la santé et à la dignité humaine.
Appel urgent des Nations unies
Les rapporteurs ont exhorté Téhéran à prendre « toutes les mesures nécessaires » pour éviter un préjudice irréversible : suspendre les exécutions, enquêter de manière indépendante sur les allégations de torture et garantir le droit à un procès équitable conformément aux normes internationales.
Ils ont également demandé aux autorités iraniennes de fournir des informations détaillées sur l’état d’avancement des dossiers, les motifs des transferts vers Qezel Hesar, ainsi que sur les conditions actuelles de détention et de santé des prisonniers.
Les experts des droits humains de l’ONU ont averti que faute de réponse crédible, ils pourraient publier une déclaration conjointe afin d’alerter la communauté internationale.
Une indignation internationale croissante
Cette démarche s’inscrit dans un contexte d’intensification des exécutions en Iran, y compris celles visant des prisonniers politiques et des dissidents. Les ONG de défense des droits humains signalent une hausse marquée des condamnations à mort pour des motifs de « rébellion » ou d’« espionnage », souvent prononcées contre des personnes accusées de liens avec l’OMPI ou de participation à des manifestations antigouvernementales.
Les experts des droits humains de l’ONU rappellent que « le droit de ne pas être arbitrairement privé de la vie est absolu et non dérogeable, quelles que soient les circonstances politiques ou les situations d’urgence ».
La lettre
Mandats de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran ; du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires ; du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires ; du Rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction ; et de la Rapporteuse spéciale sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
Réf. : UA IRN 16/2025
Son Excellence,
5 septembre 2025
Nous avons l’honneur de nous adresser à vous en notre qualité de Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran, de Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, de Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, de Rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction, et de Rapporteuse spéciale sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conformément aux résolutions 55/19, 54/14, 53/4, 58/5 et 52/7 du Conseil des droits de l’homme.
Dans ce cadre, nous souhaitons porter à l’attention de Votre Excellence les informations que nous avons reçues concernant M. Babak Alipour, M. Vahid Bani Amerian, M. Akbar (Shahrokh) Daneshvarkar, M. Pouya Ghobadi, M. Abolhassan Montazer et M. Seyyed Mohammad Taghavi Sangdehi, qui seraient sur le point d’être exécutés, à la suite d’un procès inéquitable entaché d’allégations de torture.
Informations reçues :
Les six hommes susmentionnés ont été condamnés à mort pour baghi (rébellion armée contre les fondements de la République islamique d’Iran), en raison de leurs liens supposés avec l’Organisation des Moudjahidines du peuple d’Iran (OMPI/MEK).
Ils ont été arrêtés entre le 22 décembre 2023 et le 23 février 2024 dans divers lieux, notamment à Téhéran et à la frontière de Chaldoran. Il est allégué qu’aucun mandat d’arrêt n’a été présenté et qu’une violence excessive ainsi que des menaces ont été utilisées.
- M. Alipour aurait été saisi par derrière, roué de coups (notamment à l’estomac et aux organes génitaux) et menacé d’exécution.
- M. Bani Amerian et M. Montazer auraient été battus et arrêtés ensemble, le premier ayant été blessé par balle.
- M. Daneshvarkar aurait été frappé lors d’une descente à son domicile et menacé de l’arrestation de sa femme et de son enfant.
- M. Ghobadi et M. Taghavi auraient été arrêtés à la frontière de Chaldoran et également battus.
Après leur arrestation, ils auraient tous été transférés à la prison d’Evin, où ils ont subi une détention prolongée au secret et un isolement cellulaire :
- M. Alipour : 32 jours d’isolement, plusieurs mois sans contact avec son avocat ni sa famille.
- M. Bani Amerian : 48 jours d’isolement, 5 mois sans avocat et 48 jours sans contact familial.
- M. Daneshvarkar : deux mois d’isolement, sans contact ni conseil juridique.
- M. Taghavi Sangdehi : 244 jours d’isolement, plus de huit mois sans avocat.
- M. Ghobadi : environ trois mois d’isolement, sans contact prolongé avec sa famille.
Les six détenus auraient subi de nombreuses formes de torture physique et psychologique, de mauvais traitements et de menaces pendant leur détention.
Les interrogateurs auraient menacé M. Alipour, M. Bani Amerian et M. Taghavi Sangdehi d’exécution sommaire.
- M. Alipour aurait été contraint de faire des déclarations filmées, dictées par ses interrogateurs.
- M. Daneshvarkar aurait été flagellé alors qu’il était attaché à un banc.
- M. Montazer aurait vu les points de suture d’une opération à cœur ouvert se rompre à la suite de coups violents.
- M. Ghobadi et M. Taghavi Sangdehi auraient été placés dans des cellules non chauffées pendant l’hiver.
- M. Alipour aurait été empêché de pratiquer sa religion.
Des négligences médicales graves sont signalées : absence d’examens adéquats, refus de soins nécessaires, exposition délibérée au froid.
Procès et condamnation à mort
Les six hommes ont été jugés conjointement le 6 octobre 2024 par la 26ᵉ chambre du tribunal révolutionnaire de Téhéran, pour baghi, ainsi que pour diverses autres accusations de sécurité nationale.
Le procès aurait violé les garanties du procès équitable, notamment :
- accès tardif à l’avocat choisi,
- utilisation d’aveux extorqués sous la torture,
- absence d’enquête sur les actes de torture.
Les audiences auraient été extrêmement brèves, ne laissant aux accusés que quelques minutes pour présenter leur défense. Au moins trois d’entre eux auraient rencontré leur avocat pour la première fois le jour du procès.
Le 30 novembre 2024, les six hommes ont été condamnés à mort pour baghi.
Certains ont reçu, en plus, de longues peines d’emprisonnement :
- M. Bani Amerian : 10 ans,
- M. Daneshvarkar : 20 ans,
- M. Montazer : 10 ans.
Tous ont formé appel devant la Cour suprême, mais des affaires similaires auraient été expédiées et confirmées dans un délai de quelques jours, ce qui fait craindre que leur exécution soit imminente.
En juin 2025, après l’attaque israélienne contre la prison d’Evin, les six hommes ont été transférés à la prison centrale du Grand Téhéran (Fashafouyeh), puis, le 8 août 2025, à la prison de Ghezel Hesar (province d’Alborz), où ils seraient désormais placés en isolement.
M. Montazer aurait été transféré sous prétexte de traitement médical, ce qui accroît les craintes d’une exécution imminente, cette prison étant l’un des principaux lieux d’exécution du pays.
Préoccupations exprimées
Sans préjuger de la véracité des allégations, nous exprimons notre grave préoccupation quant au risque imminent d’exécution des six prisonniers mentionnés.
Nous sommes également profondément préoccupés par le fait que leurs procédures judiciaires n’ont pas respecté les garanties du procès équitable, rendant ces condamnations injustes et contraires au droit international.
Rappels juridiques et normes applicables
Le courrier cite les articles 6, 7, 10, 14 et 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), ainsi que la Convention contre la torture, les Règles Nelson Mandela, les Principes fondamentaux pour le traitement des détenus, et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), notamment en ce qui concerne le droit à la santé.
Les experts rappellent notamment :
- que la privation arbitraire de la vie est strictement interdite,
- que la torture est une norme impérative du droit international (jus cogens),
- que la détention au secret et l’isolement prolongé (plus de 15 jours) constituent des formes de torture,
- que le refus d’accès aux soins médicaux viole le droit à la santé,
- que toute confession obtenue sous la contrainte invalide une condamnation à mort.
Ils soulignent aussi que le droit à la liberté de religion et de conviction (article 18) est absolu et non dérogeable.
Questions adressées au Gouvernement iranien
Les rapporteurs demandent notamment :
- Toute information ou commentaire sur les allégations susmentionnées.
- Comment la qualification de baghi et l’imposition de la peine de mort sont compatibles avec les obligations de l’Iran au titre de l’article 6 du PIDCP.
- Quelles garanties de procès équitable ont été assurées (accès à un avocat, exclusion des aveux forcés, droit à la défense).
- Quelles mesures d’enquête et d’examen médical indépendant ont été prises concernant les allégations de torture et de disparition forcée.
- Quel est le statut des affaires devant la Cour suprême et quelles voies de recours restent disponibles.
- Pour quelles raisons les prisonniers ont été transférés à Ghezel Hesar et dans quelles conditions ils sont actuellement détenus.
Conclusion et appel urgent
Les experts demandent une réponse rapide sur les mesures prises pour protéger les droits des six détenus conformément aux obligations internationales de l’Iran.
Dans l’attente d’une réponse, ils exhortent les autorités iraniennes à prendre toutes les mesures provisoires nécessaires pour :
- empêcher tout préjudice irréparable,
- suspendre les exécutions,
- mener des enquêtes impartiales,
- garantir la reddition de comptes en cas de violations avérées.
Ils précisent qu’en l’absence de réponse crédible, ils pourront publier publiquement leurs préoccupations dans un communiqué de presse afin d’alerter la communauté internationale.
Veuillez agréer, Excellence, l’expression de notre très haute considération.
Mai Sato – Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran
Gabriella Citroni – Présidente-rapporteuse du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires
Morris Tidball-Binz – Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires
Nazila Ghanea – Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction
Alice Jill Edwards – Rapporteuse spéciale sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
