
Nichée dans la banlieue désertique de Varamin, au sud-est de Téhéran, la prison de Qarchak est devenue le sombre symbole de la répression institutionnalisée en Iran. Officiellement destinée à la détention des femmes, elle s’est depuis longtemps éloignée de toute notion de réinsertion. Elle sert plutôt d’instrument de vengeance, réduisant au silence les dissidentes et punissant les femmes vulnérables qui ont déjà souffert d’un système profondément injuste.
Derrière les murs de béton fissurés de la prison de Qarchak, les souffrances des détenues sont aggravées chaque jour par des conditions inhumaines et une négligence délibérée. Les coups, les insultes, le harcèlement sexuel et les tourments psychologiques ne sont pas rares : ils font partie intégrante du fonctionnement de cette prison. De nombreuses détenues sont contraintes à l’isolement ou privées de tout contact avec leur famille, ce qui les plonge dans le désespoir et entraîne une grave détérioration de leur santé mentale.
L’un des aspects les plus pénibles de la vie à la prison de Qarchak est l’absence de soins médicaux appropriés. Les prisonnières souffrant de maladies mortelles telles que le cancer, le VIH ou des troubles cardiaques se voient régulièrement refuser l’accès aux traitements nécessaires. L’une d’entre elles, initialement incarcérée alors qu’elle luttait contre un cancer de la peau, a développé un cancer de l’utérus pendant sa détention. Même après que les autorités médico-légales aient émis une ordonnance urgente pour une intervention chirurgicale, la justice a refusé de lui accorder un congé médical à moins que sa famille ne paie une caution de 15 milliards de tomans, soit environ 250 000 dollars américains. Ces exigences exorbitantes ont effectivement transformé les prisonnières gravement malades en otages de l’État.
La négligence de la prison a déjà coûté la vie à plusieurs personnes. Le cas d’Atefeh Banaei est emblématique de cette cruauté. Malgré une grave détérioration de son état de santé et les supplications répétées de ses codétenues, elle s’est vu refuser l’accès à des soins médicaux et est morte derrière les barreaux. Les histoires similaires abondent : les femmes atteintes de maladies chroniques ne sont pas soignées et beaucoup ne sont même pas autorisées à recevoir des médicaments provenant de l’extérieur de la prison.
L’hygiène de base est pratiquement inexistante. Qarchak accueille des centaines de femmes, mais ne dispose que de deux douches communes, dépourvues de portes, de serrures ou d’installations sanitaires adéquates. Les murs moisis, les infestations de rats, les systèmes d’égouts qui fuient, l’eau contaminée et la nourriture avariée créent un environnement cauchemardesque qui ressemble davantage à un camp de réfugiés négligé qu’à une institution publique.
La corruption est omniprésente dans l’administration de la prison. Alors que des dizaines de femmes attendent leur exécution, d’autres auraient échappé à la peine de mort grâce à des pots-de-vin versés à des hauts fonctionnaires, dont la célèbre directrice de la prison, Soghra Khodadadi. Selon certaines informations, entre 150 et 170 femmes seraient actuellement dans le couloir de la mort à Qarchak, dont beaucoup n’ont pas bénéficié d’un procès équitable ni d’une représentation juridique. La disparité entre celles qui ont les moyens financiers et celles qui n’en ont pas révèle un système judiciaire entaché de discrimination et de cupidité.
Ce qui rend la situation encore plus douloureuse, c’est le silence imposé à ces femmes. Les détenues vivent sous la menace constante : s’exprimer pourrait leur valoir la révocation de leur permission de sortie, l’isolement cellulaire, voire des accusations fabriquées de toutes pièces. Par conséquent, rares sont celles qui osent signaler les abus. Les plaintes pour agressions sexuelles, humiliations verbales et violences physiques de la part des gardiens sont nombreuses, mais il n’existe aucun recours juridique efficace ni aucune responsabilité à faire valoir.
À Qarchak, le temps s’écoule différemment. Les femmes purgent des peines de plusieurs décennies, certaines même après avoir payé des dommages et intérêts, et se retrouvent toujours piégées dans une situation incertaine. Les prisonniers âgés atteints de maladies graves dépérissent, privés même des soins médicaux de base. Qarchak est devenue une prison non seulement de barreaux d’acier, mais aussi du corps, de l’esprit et de l’âme, où l’espoir s’efface lentement.
Cette prison est plus qu’un simple établissement pénitentiaire ; elle symbolise la manière dont le régime iranien traite les voix dissidentes et les femmes marginalisées. Elle reflète la réalité plus large d’un système qui utilise l’incarcération comme une arme pour réduire les individus, en particulier les femmes, au silence et à la soumission.
La communauté internationale ne doit pas détourner le regard. Le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, la Rapporteuse spéciale sur l’Iran, Mme Mai Sato, et d’autres organisations internationales de défense des droits humains devraient lancer immédiatement des enquêtes sur les conditions à l’intérieur de Qarchak. Envoyer des missions d’enquête dans cette prison n’est pas seulement urgent, c’est une obligation morale.
Le silence qui entoure Qarchak n’est pas un vide ; c’est le cri étouffé de femmes abandonnées par le monde. Il est temps d’écouter, de dénoncer et d’exiger justice.
